Pourquoi le monde du travail mérite t il l'attention du théâtre ?

Je vous livre ici la réflexion de fond que m'inspire la table ronde à laquelle j'ai participé le 24 septembre 2016. Théâtre & Monde du travail était invité par la FNCTA du Nord à dialoguer dans le cadre d'un WE consacré au monde du travail au théâtre. La question de ce qu'on entendait par "le travail au théâtre" est vite apparue comme méritant un éclaircissement. Si dans "L'Avare" ou "Les Femmes Savantes" Molière montre des domestiques à l’œuvre doit -on considérer que la pièce porte sur ce thème ? Les comédies de caractères ou encore les one man show contemporains d'humoristes qui en parlent sont -ils des spectacles sur le monde du travail ?

A mon sens la réponse est non : le monde du travail mérite l'attention aujourd'hui au théâtre d'abord parce qu'il révèle les mécanismes de l'économie et de l'entreprise dans lesquels toute la société baigne. Balzac à son époque montrait avec "Le Faiseur" la naissance d'un capitalisme affairiste, motivé par l'appât du gain sans limite. Mirbeau dans "Les Affaires sont les affaires" stigmatisait la puissance de l'argent. Shakespeare montrait le pouvoir sous toutes ses formes : aujourd'hui il écrirait sur le monde de l'économie, sur l'entreprise, ces nouveaux pouvoirs. Dans cette lignée on trouve de nos jours par exemple, mais pas seulement bien sûr, "Par dessus Bord" de Michel Vinaver ou "Sous la glace" de Falk Richter. Dans ces pièces, le travail en société, l'entreprise sont en quelque sorte des personnages sous-jacents pas seulement un contexte pour illustrer des caractères ou des situations quelconques. Elles aident à éveiller les consciences (Schiaretti), à bousculer les conformismes (Vinaver). C'est que le régime du travail en entreprise a gagné en autorité et en avidité: "C'est le lieu où se nouent les sentiments, les tensions, les passions, les conflits. Tout ce qui fait la substance traditionnelle du théâtre, les jeux de pouvoir, de rivalité, d'amour, a aujourd'hui migré vers le champ économique, alors que s'affaiblissent les grands champs précédents: l'Etat, le quartier, la patrie, la chambre à coucher..." écrivait encore Vinaver qui connaissait très bien l'entreprise, lui. C'est devenu depuis quelques décennies le lieu d'une désagrégation des liens sociaux comme l'expliquent les auteurs du "Nouvel esprit du capitalisme".

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