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Situations du travail, de Christophe Dejours, Presses universitaires de France, 2016

6 Février 2017, 18:58pm

Publié par Gilbert Edelin

Le dernier ouvrage de Christophe Dejours, " Situations du travail" (PUF, 2016) dont on peut lire le commentaire par Nathalie Fourcade dans cet article, est bienvenu.
Alors que fleurissent les livres sur le bonheur au travail ou les "méthodes douces" d'un management new look qui se voudrait humanisant (par souci d'efficience), sans oublier les débats de toute sorte sur le travail et sa place dans la société, au-delà de l'emploi, ce livre éclaire sur le fond les raisons de ces situations paradoxales que la psychodynamique du travail éclaire particulièrement.
Il remet ainsi les choses au point en rappelant que les caractéristiques du travail prescrit sont principalement élaborées en fonction d’objectifs de production, et non des besoins subjectifs des occupants des postes. « Prendre en considération cette hétéronomie nous conduira à reconnaître d’abord une contradiction originaire entre santé et travail, contradiction si fondamentale et si irréductible que nous devrons aussitôt renoncer à l’utopie d’un travail sans souffrance.» 
L’ouvrage est un recueil d’articles qui ont contribué, entre 1986 et 2009, à l’édification d'une discipline, la psychodynamique du travail qui s’intéresse d'abord à la souffrance, "situation intermédiaire entre la maladie mentale décompensée et le bien-être psychique", et à la normalité du sujet au travail, « résultat toujours précaire de stratégies défensives élaborées pour résister à ce qui, dans le travail, est déstabilisant, voire délétère pour le fonctionnement psychique et la santé mentale ».
« C’est parce que le travail procure, en lui-même, un profit que la perte de l’emploi entraîne une mutilation symbolique qui est imputable, autant qu’à la perte du salaire, à la perte des raisons d’être associées au travail et au monde du travail » selon Bourdieu, comme le rappelle cet article.
Il ajoute " la créativité que manifeste le sujet dans son travail, et qui lui permet de passer de la souffrance au plaisir, doit faire l’objet d’une validation sociale, faute de quoi elle reste confidentielle voire condamnée comme transgression." Ce qui peut amener à "l’hyperactivité comme stratégie de défense : pour préserver leur concentration, les travailleurs sont conduits à rechercher une paralysie de leur fonctionnement psychique. Pour cela, ils intensifient leurs efforts : l’activité occupe alors l’ensemble de l’appareil psychique et neutralise toute pensée parasite. Et « on ne change pas facilement de fonctionnement psychique en franchissant les portes de l’usine ou du siège social. Les stratégies défensives non seulement ne s’abandonnent pas au vestiaire, mais elles peuvent coloniser l’espace privé et l’économie familiale et avoir en fin de compte des conséquences majeures sur le fonctionnement psychique des conjoints et des enfants ». 
Un article et un livre à lire, bien sûr, pour comprendre les mécanismes psychiques à l’œuvre dans les situations critiques de travail, l'enjeu étant « la place qu’on veut défendre pour la subjectivité, et pour la vie dans le monde du travail et, au-delà, dans les institutions et l’organisation de la cité ».

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